J’ai écrit il y a quelques jours un billet sur le conte russe : La fille des neigeset voici maintenant un roman de Eowin Ivey intitulé la fille de l’hiver qui reprend ce conte et le transplante dans un autre pays de neige et de froid, l’Alaska!
Un couple, Mabel et Jack s’installent en Alaska pour oublier la mort de leur bébé et le fait qu’ils n’ont jamais pu avoir d’autres enfants! Ils sont déjà âgés et l’adaptation à ce pays est difficile. Pour échapper à la pesanteur de leur vie hivernale, ils façonnent une petite fille des neiges. Quelques jours après paraît une fillette étrange, suivie d’un renard roux. Peu à peu, elle prend l’habitude de leur rendre visite mais, toujours insaisissable, repart dans les montagnes enneigées et disparaît complètement au printemps. Mabel qui connaît bien le conte se demande s’ils sont tous deux devenus fous? Sont-ils victimes d’une illusion?
J’avais quelques doutes sur ce sujet que je jugeais difficile. Si l’enfant existe, en effet, nous sommes en plein conte, ce qui ne va avec la narration réaliste du roman. Si, au contraire, l’explication est terre à terre, on peut dire adieu à la poésie du conte!
j’avais tort de m’inquiéter car Eowyn Ivey, évite très bien le piège. Tout en maintenant l’intérêt du roman, elle sait nous tenir à mi-chemin entre poésie, conte féérique, et réalité, un dosage plein de finesse qui nous dispense de nous préoccuper de la vraisemblance de l’histoire, tout en nous permettant d’y adhérer fortement.
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Sniegourotchka : de Viktor Vanestov |
Jack avait sculpté ses lèvres et ses yeux. Mabel lui avait donné des moufles et coloré la bouche en rouge. Cette nuit-là une enfant leur était née, d'une poignée de glace et de neige, et de beaucoup amour.
Que s'était-il passé dans ces ténèbres glaciales, lorsque le givre avait auréolé les cheveux de paille et que la neige s'était changée en chair et en os?
On est pris par cette écriture à la fois délicate et forte, qui sait allier la beauté de la description des paysages, le mot juste pour décrire le spectacle magique de la nature, à la rudesse de la vie dans ce pays. Cultiver une terre y devient un combat, la chasse est ici une question de survie... La nuit paraît une éternité, on se replie dans la solitude et le froid atteint des paroxysmes. Et quand la nourriture manque, quand le découragement gagne, la vie ne tient alors qu’à un fil, loin de la civilisation, du confort ou du secours d’un médecin. Heureusement il y a la solidarité et l’amitié d’une autre famille de fermiers et puis, bien sûr, la présence de Faïna, cette petite fille des neiges, enfant magique, qui va donner et recevoir infiniment d'amour.
Un très joli livre, plein de poésie et de finesse mais aussi de cruauté car les contes pour enfants ne sont jamais très gais!
Je remercie L'or rouge de me l'avoir fait découvrir...
Je remercie L'or rouge de me l'avoir fait découvrir...
Extraits : un moment très fort, quand Mabel en proie à des idées suicidaires, s'aventure sur la glace de la rivière insuffisamment formée :
Au milieu du chenal, alors que la falaise n'était plus qu'à un jet de pierre, l'eau se mit à gronder sous la croûte de glace qui s'enfonçait légèrement. Elle baissa les yeux et ce qu'elle vit la terrifia. Ni bulles, ni craquelure. Seulement un abîme ténébreux, comme si elle se tenait en surplomb d'un ciel nocturne. Elle fit un pas vers la falaise. Il se produisit un craquement sonore, le bruit d'un bouchon de champagne qui saute. Mabel écarta les jambes. Ses genoux tremblaient. La glace allait céder.