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Patrick Modiano : L'herbe des nuits

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Quand Lisa et Sylire nous ont proposé de lire Patrick Modiano pour le blogoclub, je n’ai eu que l’embarras du choix, moi qui connais peu cet auteur! J’ai choisi L’herbe des nuits car sa résonance poétique me parlait. 

 Le titre

Pavot et Mémoire de Paul Celan
Le titre,  nous dit l’écrivain, est emprunté à un vers du poète russe Ossip Mandelstam :
 rassembler pour les tribus
Étrangères l'herbe des nuits.
Patrick Modiano précise :
Je ne sais pas si le russe exprime la même chose, mais, en français, l'expression «herbe des nuits» me paraissait refléter le climat de mon livre : ces souvenirs qui jaillissent comme des herbes et qu'on broute sans fin.
 D’autre part, dans une interview accordée au Figaro, Modiano fait aussi allusion au recueil de poésies de Paul Celan  Pavot et mémoire, le pavot étant la fleur associée à l’oubli… Une image qui en accord avec le roman dans lequel le narrateur Jean, à l’aide d’un petit carnet noir où il a noté quelques noms, des évènements, des lieux, part à la recherche de son passé. Des décennies se sont écoulées.  Il ne reste plus grand chose du Paris des années 1960, quand jeune étudiant, il avait pour amie une jeune femme mystérieuse, Dannie, qui a disparu soudainement de sa vie sans qu’il puisse la retrouver. Ce Paris est aussi celui de la décolonisation et à travers la vie nocturne, dans les  bars louches de la capitale, le narrateur fait connaissance de personnages interlopes, comme les marocains Aghoumari, ou l’inquiétant « Georges ». Entre oubli et mémoire, Jean retourne sur les lieux de son passé, cherche à faire revivre les fantômes qui ont vécu là.

Un archéologue du passé

Paris semble être ici, comme dans la plupart de ces romans, un personnage à part entière. Il explore la ville recherchant au-delà des rues, des cafés, de l'Unic Hôtel où se passe une grande partie de l'action, du cimetière de Montparnasse, la gare, les traces qu'il a pu laissées.  L'on sent que l'écrivain y a mis beaucoup de lui-même - c'est ce qu'il confirme dans l'entretien donné sur le site de Gallimard-.  Le récit est écrit par petites touches et nous livrent des bribes du passé sans avoir l’air d’y toucher, sans s’appesantir. C’est que la mémoire fonctionne ainsi et les souvenirs se dérobent toujours au présent. Il ne faut pas les forcer.  Le narrateur semble être un archéologue étudiant les couches successives d'un passé récent mais aussi plus ancien : les traces de sa jeunesse recouvrent ou au contraire sont recouvertes par celles de l'Histoire. Gérard de Nerval, Madame du Barry,  Jeanne Duval, Restif de la Bretonne, Tristan Corbière, la baronne Blanche qui a donné son nom à la rue, et que Jean étudie, ont autant de consistance (ou aussi peu) que Dannie, Aghamouri, Georges et les autres qui ont traversé sa vie. Tous sont des ombres qui reviennent vaguement à la lumière du souvenir. Les rues de la capitale changent de nom, les immeubles disparaissent pour laisser place à d’autres, mais parfois, dans une brèche du temps, surgit le souvenir, fragile, d’un moment, un flash, un arrêt sur image. Le tout baigne dans un atmosphère de clair-obscur, entre sommeil et veille, entre réalité et rêve. Car ce passé a-t-il vraiment existé?
Le passé? Mais non, il ne s’agit pas du passé, mais des épisodes d’une vie rêvée, intemporelle, que j’arrache, page à page, à la morne vie courante pour lui donner un peu d’ombre et de lumière.

Un tableau de Hoper

Edward Hoper Noctambules ou nightawks tableau de 1942
Edward Hopper : Noctambules

L’ombre et la lumière!  Le roman de Modiano me paraît très visuel, très pictural. Ses descriptions font écho pour moi aux tableaux nocturnes de Hoper où les personnages sont figés dans des lieux éclairés au milieu de l’obscurité, enfermés dans leur solitude : Cette nuit-là je ne sais pas combien de temps je suis resté à les observer.(…) Ils étaient à quelques centimètres de moi derrière la vitre, et l’autre, avec son visage de lune et ses yeux durs, ne me voyait pas lui non plus. Peut-être la vitre était-elle opaque de l’intérieur, comme les glaces sans tain. Ou tout simplement, des dizaines et des dizaines d’années nous séparaient, ils demeuraient figés dans le passé au milieu de ce hall d’hôtel , et nous ne vivions plus, eux et moi, dans le même temps.
L’image de cette vitre qui sépare le passé du présent est récurrente : Il me semble qu’à cette époque je les voyais tous comme s’ils étaient derrière la vitre d’un aquarium, et cette vitre nous séparait, eux et moi.

J’ai aimé le ton nostalgique de ces souvenirs, cette impression de tristesse douce qui baigne l’ensemble.  J’ai senti combien l’écrivain parlait de lui-même et avec quelle intensité il nous faisait partager ses émotions. J’ai été sensible à l’urgence que l’on sent dans sa recherche du temps perdu, parce que, à un certain  âge, l’on ne peut plus éprouver cette impression d’éternité liée à la jeunesse. Ainsi quand il s’adresse à cette femme aimée dont la personnalité et l’identité même étaient si insaisissables : 
Tu dois te cacher dans ces quartiers là. Sous quel Nom? Mais, chaque jour, le temps presse et, chaque jour, je me dis que ce sera pour une autre fois.



Sylire et Lisa


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